Le Grand Jardin

Ils marchèrent donc tous les deux d’un pas lent à travers les allées. Daleg salua tour à tour les nobles qu’il connaissait pour avoir échanger un jour quelques mots, autant dire presque tout le monde au château. Il le faisait plus par devoir que par plaisir car il n’aurait pas supporté de donner une mauvaise image de lui à tous ces gens.
Bien protégé par son armure et son vêtement de cuir, Daleg n’aurait jamais remarqué la brise fraîche si les arbustes n’avaient pas été secoués par le vent et si quelques mèches de ses cheveux ne lui avaient pas caressé le visage. Il vit redéfiler vers le château bon nombre de personnes qu’il venait de saluer. Leur pas était rapide comme s’il craignait de voir la pluie s’abattre à tout moment sur leurs beaux habits brodés de fils d’or.

Daleg acquiesça en écoutant les paroles de Marguerite comme une fine musique entre ses lèvres. Comme une âme qui se voulait bienveillante, elle lui avait assuré que le vent cesserait. Ce qui fût le cas bien vite.
Le jardin était devenu très calme tout à coup, ce qui fit monter une bouffée d’angoisses dans le cœur de Daleg, cela lui rappelait les champs de batailles après un combat. Ce silence et ces corps sans vie le hanterait pour le restant de ces jours. Nathalia était suffisamment forte pour ne pas s’en émouvoir mais malgré tout ce qu’il laissait paraître, c’était un homme bien plus sensible que le poste qu’il occupait.

Il se tourna vers elle et lui sourit timidement. Comme tout le monde, Daleg aimait à se faire complimenter sur l’importance de son personnage mais il ne savait jamais comment les prendre et cela le mettait souvent mal à l’aise. Il se disait à chaque fois que peut-être il ne les méritait pas, que ce n’était que paroles en l’air pour faire plaisir… ou pire.

_ Vous auriez tort de me considérez comme personne de grande importance, je suis comme vous, d’origine modeste. Bien qu’il ignorait ses origines, il lui sembla normal de dire qu’il ne venait pas de la noblesse, lorsqu’on est un bâtard abandonné par ses parents, on se prétend rarement venir d’une haute lignée. Il continua avec simplicité. Si j’ai de l’importance sur un champ de bataille, ici je ne suis qu’un homme parmi tant d’autre.

Leurs pas les menèrent encore un peu plus loin, sur un petit pont de bois surplombant une mare couvertes de nénuphars et de fleurs de lotus dont les jardiniers avaient réussis à obtenir par croisement, une couleur unique. Quelques poissons colorés quittèrent la surface en ressentant les vibrations que leurs pas avaient faits sur le bois. Un rayon de soleil vînt se porter sur la mare reflétant sur leurs visages quelques ondes blanches.

Un soldat essoufflé vînt rompre le silence relaxant qui s'était installé. Le souffle court, il salua avant d'annoncer sur un ton qui ne voulait montrer aucune faiblesse.

_ Mon capitaine, des inconnus ont réussis à pénétrer l'enceinte du château, ils ont déjà mis à mal un grand nombre de nos soldats.</FONT>

Daleg s'inclina devant Marguerite avec élégance avant de partir rapidement à la suite du soldat qui n'avait pas eut le temps de reprendre son souffle.

_ Je vous prie de m'excuser Madame, le devoir n'attend pas!

>> Salle de Bals

Nathalia fit son entrée dans la salle de bals. Ravissant beaucoup des convives par sa simple présence, elle faisait se sentir tâche les filles de joie qui ne témoignaient pas d’une élégance naturelle en choisissant leurs robes. Mais le contraire aurait été affligeant! Quelle noble dame aurait supporté qu’on ne fasse pas la différence entre des prostituées et des épouses de riches marchands? La grande Dame entra et tous la saluèrent. Joshua resta de marbre. Il n’estimait être le sujet de personne et ne devoir rien à personne. Nathalia n’était pas sa Reine, il ne lui crachait pas dessus derrière son dos mais il ne lui accordait pas non plus sa soumission. Trembler pour sa vie n’était plus quelque chose qui le chagrinait… Ni l’assassin, ni la reine couronnée ne pourrait le faire plier sur ce chemin.

Rosaly quitta la salle discrètement. Elle n’était que le substitut de Nathalia et celle-ci venait de reprendre le rôle d’hôtesse. Sans un échange, Joshua se glissa à sa suite, la suivant sans questionnement jusqu’aux jardins presque désert. Quelques gardes par ci, par là, faisaient leur rondes coutumières. Et il la suivait sans dire un mot, ses pas se faisant léger malgré sa masse. Il ne sentit pas le froid sous son épais manteau, il ne regarda pas les étoiles qui scintillaient dans le ciel. Il fixait simplement Rosaly et arpentait d’un regard perçant les buissons alentours, se tenant prêt à toute attaque.

Les pas de la jeune conseillère cessèrent et les siens firent de même sous l’arbre. Joshua la regarda trembloter avec agacement. Il faisait froid et cette dernière n’aurait pas dû sortir dans cette tenue. Elle aurait dû faire un détour, prévoir de passer par sa chambre pour enfiler vêtement plus chaud. Voilà ce qu’il pensait. Il recula d’un pas derrière elle alors qu’elle fixait le ciel avec le même émerveillement que l’aurait fait un enfant recevant le cadeau tant désiré. Mais la jeune noble ne se trompa pas, Joshua ne dit rien à sa première remarque et s’il l’avait fait, cette dernière aurait été acerbe. La guerre était un sujet qui fâche et son opinion sur le sujet était établie depuis longtemps. Rosaly réclamait vengeance, elle ne se souciait pas de se dire que sa souffrance, d’autres l’avaient ressentie… les rebelles n’étaient pas épargnés! Dire que la guerre était inévitable était une excuse trop facile et cela lui rappela ces mêmes idées insensées qu’il avait eu en tête à une époque. A sa seconde remarque, Joshua prit pourtant la parole, d’une voix neutre. Il ne doutait pas que ce qu’elle eut vécu fût abominable mais elle ne cherchait pas l’affrontement pour les bonnes raisons.

_ Personne ne mérite la défaite…

Elle aurait pu quitter ce monde, elle aurait pu quitter son poste. Elle n’aurait plus la guerre à penser mais elle s’exposerait à la misère, elle s’exposerait au besoin et peut-être Rosaly n’était-elle pas prête à laisser tout cela derrière elle. Il ne pouvait lui dire que la guerre était loin d’être finie… il ne voulait pas qu’elle en soit plus attristée que maintenant.

_ Ne vous en faites pas, c’est à moi de m’en faire pour vous.

Il savait pourquoi elle était si mélancolique. Le jour de la mort de ses parents arrivaient à grands pas et la jeune fille à cette période, avait toujours des moments de doutes et de tristesses. Il ne l’en blâmait pas, il éprouvait la même chose en différentes dates… paraissant si fort et pourtant si faible en ces jours, si Rosaly avait cherché à le cerner. De ces moments, il ne lui en avait jamais fait état et en trois ans, il aurait bien pu. Même s’il lui était encore inconnu, elle connaissait tout de même les habitudes qu’il avait vis-à-vis d’elle. Etre au petit soin à son égard en était une qui s’était accentuée avec les années. Ne supportant plus de la voir trembloter au moindre coup du vent frais, il défit son manteau, dévoilant un corps bien bâti et lui posa sur les épaules. L’épais tissu traînait sur le sol tant la taille de ces deux êtres variaient mais au moins elle serait au chaud jusqu’à ce qu’elle décide de quitter les jardins.

Si Joshua avait répondu à ses paroles, c'est qu'elle jouait sur un terrain sensible pour lui. Si Rosaly le connaissait mieux, à cerner cet homme mystérieux, elle aurait réussi à faire changer la conversation sur un tournant plus favorable. C'était son travail de mener une conversation comme elle le voulait. Mais lorsqu'on a de la difficulté à comprendre son interlocuteur, la tâche devenait plus ardue.

La conseillère se senti soudainement lourde. Sans avertissement, le garde du corps avait décidé de la protéger du froid avec son manteau. Elle avait fini par ne plus remarquer qu'elle grelottait à cause du vent. Elle avait été sotte de sortir sans châle par ce temps. Mais elle avait eu besoin de prendre l'air subitement et elle n'avait pas eu envie de faire maints détours pour ça. Joshua n'appréciait pas son manque de prévoyance, mais il ne lui avait pas dit directement. Il avait le don de la sermonner avec des gestes anodins. Comme le fait de lui mettre son manteau sur les épaules. Rosaly serra avec ses petites mains le lourd tissu pour lui procurer un peu plus de chaleur, mais elle continua à regarder les étoiles, comme si celles-ci pouvait lui donner les réponses à ses questions trop nombreuses.

- Il y a des fardeaux que je dois porter seule sur mes épaules Joshua. Je ne serai pas une bonne conseillère si je ne m'inquiétais pas.

Elle avait à peine levé la voix pour dire ces quelques mots. Le quatrième anniversaire de la mort de ses parents la fatiguait et la rendait malheureuse. Elle le cachait aux invités avec des faux-sourires et des paroles rassurantes et pleines de promesses. Mais à l'intérieur, sa joie de vivre fissurait à maints endroits. Il n'y avait que Joshua qui avait fini par s'en apercevoir et qui faisait plus attention à elle durant ces quelques jours.

Ces doutes et ces questionnements n'étaient souvent que passagers. Mais elle se demandait souvent pourquoi elle restait encore la conseillère de la triarchie alors que les Rebelles voulaient sa peau. Elle aurait pu disparaitre un certain temps. Elle avait hérité d'assez d'argent pour bien vivre sans travailler. Mais le sentiment de vengeance qui la rongeait depuis 3 ans l'empêchait de le faire. La seule façon ne se venger était de rester avec ceux qui tiraient les ficelles de toute l'organisation Fidèle. Elle n'était pas faite pour se battre - c'était à peine si elle tenait une dague comme il le fallait- elle avait donc trouvé que cette option. Mais comme le souvenir des cadavres de ces parents, cette vengeance malsaine lui prenait beaucoup d'énergie. Elle finirait par la tuer si cela continuait. Mais à chaque fois qu'elle voyait les percées des Fidèles dans les armées Rebelles, elle retrouvait l'énergie nécessaire pour ne pas s'effondrer.

Plusieurs minutes s'écoulèrent sans que ni Joshua, ni Rosaly ne parlent. Le silence ne les rendaient pas mal à l'aise, ni anxieux. Ils en avaient tous les deux besoin en quelque sorte. C'est finalement Rosaly qui brisa le silence.

- Nous devrions rentrer.

La conseillère se tourna doucement pour faire face à son garde du corps et enleva le manteau de ses épaules pour le redonner à son propriétaire. Elle marcha d'un pas moins pressée vers une autre porte que celle de la salle du bal. Aussi bien ne pas alarmer les invités avec sa mine épuisée et passer par des couloirs moins fréquentés.

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